4 Spécificité d'hôte du prédateur Teretriosoma nigrescens
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4.1 Spécificité d'hôte de Teretriosoma
nigrescens vis-à-vis de certaines espèce
de coléoptères ravageurs des stocks
4.2 Spécificité d'hôte de Teretriosoma
nigrescens vis-à-vis de certaines espèces
de lépidoptères ravageurs des denrées stockées
4.1.1
Introduction
4.1.2 Matériels et méthodes
4.1.3
Résultats
4.1.4
Commentaires
Dans un grenier à mais, on a mis simultanément T. nigrescens en présence de P. truncatus et d'autres espèces de coléoptères ravageurs des stocks. Cette expérience avait pour but d'apporter des réponses aux questions suivantes:
En dehors de P. truncatus, T. nigrescens peut-il utiliser pour se nourrir d'autres espèces de coléoptères et inhiber par là même l'accroissement d'autres populations de ravageurs?
T. nigrescens est-il dépendant pour sa reproduction de son hôte P. truncatus ou le prédateur peut-il également se multiplier au sein de populations de coléoptères appartenant à d'autres espèces?
Quelle influence T. nigrescens exerce-t-il sur une population de coléoptères offerte au prédateur sous forme de culture mixte incluant P. truncatus en tant qu'animal hôte?
T. nigrescens est-il également en mesure d'inhiber l'accroissement d'une population de P. truncatus en présence d'une seconde espèce de coléoptères?
T. nigrescens peut-il se multiplier au sein d'une population mélangée comportant, outre P. truncatus une autre espèce de coléoptères?
A l'instar de P. truncatus la plupart des espèces de coléoptères sélectionnées dans le cadre de ces recherches sont des ravageurs du mais que l'on rencontre en Amérique centrale (Costa Rica) et en Afrique (Togo et Tanzanie) (PANTENlUS, 1987; BÖYE, 1988; LELIVELDT, 1990; HENCKES, 1992).
A côté des ravageurs primaires de la famille des Bostrychidés, des Curculionidés et des Cucujidés, on a également choisi six espèces de Ténébrionidés, classés comme ravageurs secondaires. On trouvera au tabl. 2 la liste des 18 espèces de coléoptères (augmentée d'une sous-espèce) sur lesquelles ont été réalisés les essais concernant la spécificité d'hôte de T. nigrescens.
On s'est servi de cinq élevages de ravageurs (A. diaperinus, D. porcellus, C. dimidiatus, L. oryzae et T. confusum), collectés dans la nature et importés du Togo en 1989 pour ces essais. S'agissant des trois dernières espèces de coléoptères énumérées, on a utilisé pour les recherches aussi bien une souche sauvage provenant du Togo qu'une souche de laboratoire, et cela aux fins de comparaison. Les autres espèces d'insectes provenaient en totalité d'élevages régulièrement pratiqués depuis plusieurs années au département de protection des récoltes du BBA (Institut biologique fédéral) de Berlin.
4.1.2.1 Spécificité d'hôte de Teretriosoma nigrescens sur des monocultures
Les conditions de température optimales pour l'élevage des animaux hôtes sélectionnés se situaient entre 32°C pour P. truncatus et 20°C pour certaines espèces de teignes. La température moyenne choisie pour l'ensemble des essais était de 27°C, pour une humidité atmosphérique relative de 75 %. Ces conditions correspondent approximativement au climat chaud et humide du Togo, en même temps qu'elles permettent la comparaison avec des travaux déjà publiés
La durée des essais a été fixée à 8 semaines, période correspondant à l'achèvement du cycle évolutif de T. nigrescens dans les conditions climatiques choisies.
Etant donné que la génération F1 de certains autres ravageurs des stocks ne demandait que 4 à 5 semaines pour parvenir à maturité dans des conditions climatiques identiques, on a déterminé dans le cadre d'essais préliminaires le nombre d'animaux hôtes à placer dans chaque bocal pour éviter une surpopulation dans les échantillons au cours de la période d'essai et, partant, I'infestation des élevages par des champignons.
L'âge exact des animaux hôtes utilisés était inconnu. Les coléoptères ont toutefois été extraits de bocaux d'élevage dans lesquels la génération F1 avait éclos peu de temps auparavant.
Tabl. 2: Espèces de coléoptères et de lépidoptères utilisées pour l'étude de la spécificité d'hôtes
FAMILLE Désignation du genre et de l'espèce |
Nom usuel | Abréviations |
BOSTRYCHIDÉS | ||
Prostephanus truncatus (Horn) | Grand capucin du mais | P. trun. |
Dinoderus porcellus Lesne* | --- | D. porc. |
Rhizopertha dominica F. | Capucin du mais | R. domi. |
CURCULIONIDÉS | ||
Sitophilus granarius africanus* | Charançon africain des grains* | S. gr.af |
Sitophilus granarius granarius L. | Charançon commun des grains | S. gr.gr. |
Sitophilus oryzae L. | Charançon du riz | S. oryz. |
Sitophilus zeamais Motsch. | Charançon du mais | S. zeam. |
TÉNÉBRIONIDÉS | ||
Alphitobius diaperinus Panz. | Petit ténébrion brillant | A. diap. |
Latheticus oryzae Waterh. | Tribolium de la farine, à tête ronde | L. oryz. |
Palorus ratzeburgi Wissm. | Tribolium de la farine, à petits yeux | P. ratz. |
Palorus subdepressus Woll. | Tribolium de la farine, à petits yeux | P. subd. |
Tribolium castaneum Hbst. | Tribolium rouge de la farine | T. cast. |
Tribolium confusum Duv. | Tribolium américain de la farine | T. conf |
CUCUJIDÉS | ||
Ahasverus advena Waltl | Cucujide tropical des grains | A. adve. |
Cryptolestes pusillus Schönh. | Petit cucujide plat | C. pusi. |
Oryzaephilus mercator Fauv. | Sylvain denté des arachides | O. merc. |
Oryzaephilus surinamensis L. | Sylvain denté des grains | O. suri. |
NITIDULIDÉS | ||
Carpophilus dimidiatus F. | Carpophile des grains | C. dimi. |
DERMESTIDÉS | ||
Trogoderma granarium Everts | Trogoderme du grain | T. gran. |
MYCÉTOPHAGIDÉS | ||
Typhaea stercorea L. | --- | T. Ster. |
PHYCITIDÉS | ||
Ephestia cautella Walk. | Teigne de l'amandier | E. caut. |
Ephestia elutella Hbn. | Pyrale du cacao | E. elut |
Ephestia kuehnellia Zell. | Teigne de la farine | E. kuen. |
Plodia interpunctella Hbn. | Pyrale des fruits secs, rouge | P. inte. cuivré |
GALLERIIDÉS | ||
Corcyra cephalonica Staint. | Pyrale du riz | C. ceph. |
GÉLÉCHIIDÉS | ||
Sitotroga cerealella Ol. | Alucite des céréales | S. cere. |
Indépendamment du nombre d'animaux hôtes, on a placé dans chaque préparation 10 imagos de T. nigrescens. Pour un rapport constant prédateur-proie de 1 pour 10, par exemple, on n'aurait placé dans nombre de préparations que 5 T. nigrescens, voire 2 imagos seulement du prédateur dans certaines d'entre elles. Par suite de ce nombre restreint, le risque de n'introduire fortuitement que des mâles dans les échantillons était relativement élevé, ce qui aurait pu avoir pour conséquence de fausser les résultats des recherches sur la capacité reproductive de T. nigrescens sur les populations d'animaux hôtes proposées.
Comme récipients à essais, on a utilisé des bocaux de 300 ml de contenance (ø 7 cm), en soudant dans les couvercles filetés en plastique un morceau de treillis métallique.
T. nigrescens n'étant pas en mesure de se mouvoir sur des parois de verre lisses, le rayon d'action du prédateur dans les échantillons était limité par le volume du milieu nutritif destiné à l'animal hôte. Vu qu'il est plus facile de déceler des proies dans un faible espace que dans un espace plus vaste, les substrats n'ont pas été pesés. Les bocaux de verre ont été au contraire uniformément remplis jusqu'à la moitié environ de milieu nutritif. On a utilisé pour chaque préparation env. 150 g de maïs, de blé ou de sorgho, 100 g de flocons d'avoine ou de manioc, ou encore 50 g de son de blé (additionné de glucose, de glycérine et de levure).
On a préparé pour chacune des espèces de ravageurs 10 bocaux, contenant pour la plupart 100 ou 50 imagos. Au bout d'une semaine d'incubation en chambre climatique, à 27° ± 1°C et 75 % ± 5 % d'hum. rel., à l'abri de la lumière, on a pris la moitié des préparations et placé sur chacune d'elles 10 jeunes imagos de T. nigrescens (âgés de 0 à 14 jours). Les échantillons renfermaient déjà à ce moment-là des oeufs et des larves des animaux hôtes. Les 5 autres échantillons sans prédateurs servaient de témoins (fig. 9B). Chaque série d'essais a par conséquent nécessité l'emploi de 1000 ou de 500 animaux hôtes et de 50 prédateurs.
Après introduction de T. nigrescens, les échantillons ont été placés en chambre climatique à 27° ± 1°C et 75 % ± 5 % d'hum. rel., à l'abri de la lumière. Le tamisage des échantillons a permis de séparer les coléoptères des particules de substrat un peu volumineuses et de la poussière de forage (mailles de 2,0 mm, 1,0 mm et 0,7 mm) (fig. 9C). Les coléoptères ont été ensuite dispersés sur un plateau blanc, où il était facile de collecter dans les échantillons les imagos de T. nigrescens, qui sont très mobiles, de même que les larves du prédateur, et de les dénombrer.
En partant du nombre d'imagos de T. nigrescens mis en place à l'origine et de celui des imagos du prédateur retrouvés, on a pu facilement établir s'il y avait eu ou non reproduction (nombre de descendants / nombre d'animaux de la génération P mis en place < 1) ou multiplication (nombre de descendants / nombre d'animaux de la génération P mis en place > I) de T. nigrescens sur les animaux hôtes de l'espèce proposée.
Les essais préliminaires n'ont permis de mettre en évidence dans les échantillons que des oeufs de T. nigrescens isolés. Le tamis à mailles fines employé pour isoler les oeufs de la poussière de forage avait tendance à se boucher rapidement. La recherche des quelques nymphes de T. nigrescens s'est avérée longue et délicate, dans la mesure où celles-ci était fréquemment dissimulées à l'intérieur des grains de maïs et ne tombaient donc pas au moment du tamisage des échantillons.
Ceci explique que l'on ait renoncé à compter le nombre d'oeufs et de larves du prédateur dans les préparations.
Du fait que l'évaluation de l'ensemble des échantillons a parfois demandé plusieurs jours, les échantillons tamisés contenant les animaux hôtes ont été transférés après collecte des individus de T. nigrescens dans de petites boîtes de Petri et congelés à - 18°C durant au minimum 24 h. ce qui a permis de maintenir les préparations expérimentales à un stade d'évolution de 2 mois. On a également évité ainsi une éclosion tardive de coléoptères pendant l'évaluation et facilité le comptage d'espèces qui sont en temps normal très mobiles et, pour certaines, aptes au vol.
Les échantillons contenant les coléoptères ont été ensuite répartis sur un plateau blanc, dont on avait divisé le fond (30 cm x 20 cm) en bandes de 2 cm de large à l'aide d'un crayon de feutre à pointe fine (fig. 9D). En utilisant un compteur et en s'aidant de ces lignes de guidage, on a pu rapidement établir le nombre des coléoptères. Seuls les coléoptères parfaitement intacts ont été comptabilisés. La comparaison entre le nombre des imagos des animaux hôtes qui s'étaient développés a) sous l'influence de T. nigrescens, et b) dans les témoins, a permis de déterminer si le prédateur avait accepté ou non l'espèce de coléoptères qui lui était proposée en tant que nourriture.
On a donc pu réaliser de cette manière deux séries d'essais au moins, et cela sur des substrats divers. Comme nourriture, on a choisi d'une part le substrat habituellement utilisé au département de protection des récoltes pour l'élevage des différentes espèces de ravageurs. Etant donné que l'on rencontre principalement T. nigrescens en association avec P. truncatus dans des greniers à maïs, on a par ailleurs choisi le mais comme substrat expérimental. Dans les préparations comportant des ravageurs secondaires qui dépendent de ravageurs primaires pour leur ouvrir la voie vers l'albumen amylacé des grains de substrat, les grains de mais ont été remplacés pour moitié environ par de la mouture de mais.
On a par ailleurs procédé à des essais supplémentaires faisant intervenir 9 espèces de coléoptères sur du manioc. Les racines séchées, qui provenaient du Togo, ont été brisées à cet effet afin d'obtenir des morceaux de 1 à 2 cm3.
L'évaluation statistique des résultats a été réalisée à l'aide du test t, dont on trouvera au chap. 3.3.2 une description plus précise.
4.1.2.2 Spécificité d'hôte de T. nigrescens sur des cultures mixtes incluant P. truncatus
En même temps que son hôte habituel, P. truncatus on a proposé à T. nigrescens dans chaque cas 100 imagos appartenant à diverses espèces de coléoptères, que l'on désirait tester en tant qu'hôtes potentiels. Comme substrat pour les animaux hôtes, on a choisi uniformément le mais.
Vu que chacune de ces cultures mixtes contenait 200 animaux hôtes adultes, on a également pris pour les essais témoins (n=5) 200 imagos de P. truncatus.
Les préparations expérimentales ont été confectionnées et leurs résultats interprétés selon la méthode décrite au chap. 4.1.2.1.
Sur les 19 espèces (dont une sous-espèce) de coléoptères ravageurs des stocks examinées, T. nigrescens n'a pu se reproduire régulièrement que dans les élevages de 5 d'entre elles seulement, et cela sur divers substrats. Il s'agit en l'occurrence de deux Bostrychidés, R. dominica et D. porcellus, ainsi que de S. oryzae, qui appartient à la famille des Curculionidés, du Cucujidé O. surinamensis et du Mycétophagidé T. stercorea (annexe: fig. 12 A,B+C). Au sein des autres populations de coléoptères, T. nigrescens ne s'est pas reproduit, ou alors en quantité minime.
Les seuls effets inhibiteurs réguliers que l'on ait pu observer de la part de T. nigrescens sur les populations d'animaux hôtes placés sur des monocultures concernaient les populations de O. surinamensis et de O. mercator et, dans certains cas isolés, des populations de R. dominica, D. porcellus, de même que des populations du ténébrion L. oryzae et du dermeste T. granarium (annexe: tabl. 3; fig. 10 A,B+C). T. nigrescens n'a pas eu d'influence sur l'évolution des populations des 13 autres espèces de coléoptères testées.
Sur les cultures mixtes dans lesquelles on avait placé en même temps sur du mais une espèce de coléoptères ravageurs des stocks et P. truncatus on a noté en général une reproduction abondante de T. nigrescens (annexe: fig. 13). Outre celle des populations de P. truncatus T. nigrescens a inhibé ici de manière significative la croissance d'autres ravageurs, sur lesquels le prédateur n'avait pas eu d'influence sur des monocultures de mais (annexe: tabl. 3; fig. 11 A+B). Au nombre de ces ravageurs figurent D. porcellus, S. granarius granarius, et S. oryzae, les Ténébrionidés A. diaperinus, L. oryzae, P. ratzeburgi, T. castaneum, ainsi que les deux souches de T. confusum, le Cucujidé C. pusillus et la souche de laboratoire de C. dimidiatus, de la famille des Nitidulidés.
Certaines particularités et détails importants présentés par les résultats feront l'objet d'une étude plus approfondie au chapitre des commentaires.