5 Importance du substrat végétal pour la nutrition et la reproduction de Teretriosoma nigrescens
Table des matières - Précédente - Suivante
5.1
Introduction
5.2 Capacité de survie de Teretriosoma
nigrescens sur des substrats végétaux
5.3 Dégâts et pertes causés par Teretriosoma
nigrescens sur des substrats végétaux
5.4 Capacité reproductive de Teretriosoma
nigrescens sur des substrats végétaux
5.5 Commentaires
Parallèlement aux recherches sur la spécificité d'hôte, il était important de voir si T. nigrescens est également en mesure d'utiliser pour son alimentation des substrats végétaux. Cette question en soulevait directement de nombreuses autres, immédiatement connexes:
Combien de temps le prédateur est-il capable de se passer de nourriture, autrement dit à quel moment une population de T. nigrescens se désagrège-t-elle en l'absence, totale ou partielle, de proies animales?
T. nigrescens est-il en mesure de surmonter une pénurie momentanée de proies animales en absorbant une alimentation végétale, ou peut-il même se reproduire dans des milieux végétaux et devenir ainsi à son tour un ravageur des stocks destinés à l'alimentation humaine?
Dans le but de trouver une réponse à ces questions, on a présenté à T. nigrescens comme nourriture potentielle l 5 milieux végétaux différents (plus des biscuits pour chiens contenant des ingrédients d'origine animale) et étudié la capacité de survie et de reproduction du prédateur sur ces substrats. Outre l'importance d'une alimentation végétale pour les imagos, on s'est également penché sur celle du maïs pour les larves de T. nigrescens.
Les recherches ont essentiellement porté sur le maïs et le calé. Le maïs constitue au Togo un aliment de base. Le café, qui représente pour l'Afrique occidentale tropicale une marchandise d'exportation précieuse, est soumis de ce fait à des normes de qualité sévères.
T. nigrescens étant associé au ravageur P. truncatus, c'est sur le mais que l'on va surtout le rencontrer. Du fait que les zones de culture du maïs d'Afrique de l'Ouest coïncident en partie avec les régions productrices de café, T. nigrescens pourrait, en cas d'importation pour la lutte contre le ravageur du mais, se trouver également en présence de café.
5.2 Capacité de survie de Teretriosoma nigrescens sur des substrats végétaux
5.2.1 Matériels et méthodes
5.2.2
Résultats
Vu que c'est au Togo qu'il avait été prévu de lâcher T. nigrescens, les recherches ont été effectuées à partir de produits du commerce: maïs, manioc, diverses espèces de millet, cacahuètes, etc., provenant de ce pays. Pour compléter cet éventail, on a sélectionné en outre un certain nombre de milieux, habituellement utilisés au département de protection des récoltes du BBA de Berlin pour l'élevage d'insectes ravageurs des stocks. A côté du blé, du sorgho, des haricots, du maïs et des flocons d'avoine, on a également utilisé pour les essais du son de blé additionné de glycérine, de glucose et de levure.
Les recherches impliquaient par ailleurs des grains de café verts, non torréfiés, provenant de cinq pays différents (Costa Rica, Kenya, Zaïre, Colombie et deux régions du Brésil), une espèce de maïs togolaise et du mais argentin (nom commercial: "La Plata").
Ignorant alors si T. nigrescens est en mesure d'endommager des grains intacts pour parvenir jusqu'à l'endosperme nutritif, on a prévu pour la plupart des substrats deux séries de tests, en utilisant d'une part un milieu sain, c'est-à-dire non infesté. On a sélectionné à cet effet des grains de mais et des haricots extérieurement intacts. D'autre part, pour simuler une infestation du substrat par des insectes ravageurs des stocks, on y a percé des trous (2 mm de ø pour le mais, les haricots et les cacahuètes) ou soumis le milieu nutritif à un broyage grossier (blé, sorgho, millet, riz, etc.).
Les substrats ont été stérilisés avant le début des essais. Ils ont été stockés à cet effet durant une semaine dans un congélateur à -19°C. Cette mesure, qui était tout particulièrement nécessaire pour les substrats provenant du Togo, lesquels présentaient parfois une infestation avancée, a permis non seulement de détruire par ex. les oeufs de coléoptères et de teignes, de même que les psocoptères et les acariens, mais également les micro-organismes et les champignons.
Les milieux végétaux ont été ensuite placés pendant deux semaines au moins aux fins de conditionnement dans la chambre climatique prévue pour ces essais, à 27°C ± 1°C et 75% + 5% d'hum. rel. On a ensuite mesuré l'hygrométricité des substrats à l'aide d'un hydromètre rapide semi-automatique (Brabender) (tabl. 5).
Les conteneurs utilisés pour les essais étaient des fioles (3 cm de ø, 8 cm de haut) fermées par un morceau d'étoffe de coton fixé au goulot par un élastique. Ces conteneurs ont été remplis jusqu'à la moitié de substrat. Suivant les caractéristiques des divers milieux, on a ainsi pesé et versé dans les fioles env. 10 g de flocons d'avoine ou de son de blé, et 20 g env. de mais, de haricots ou de blé.
Comme témoins, on s'est servi d'une part de préparations de famine, dans lesquelles on a utilisé à la place du substrat des matériaux impropres à la consommation, comme des perles de verre ø 3+7 mm), des dés de styropor (1 cm3), du gravier (ø 3 à 5 mm) ou des boules d'argile expansée (ø 5 à 10 mm). Les coléoptères, qui possèdent une grande mobilité, avaient ainsi la possibilité de se déplacer à leur guise tout en disposant en même temps de cachettes leur servant de lieu de repos.
Des T. nigrescens adultes, auxquels on avait donné en tant que source de nourriture familière des oeufs et des larves de P. truncatus, servaient de second témoin. Pour cela, les prédateurs ont été placés régulièrement sur des élevages de P. truncatus, datant de 7 jours (100 coléoptères adultes sur env. 50 g de maïs, dans des verres de 100 ml). Du fait que T. nigrescens se reproduit sur ce type d'élevage, il a fallu transplanter les coléoptères chaque mois, de manière à éviter que les T. nigrescens de la génération P ne se mélangent à leurs descendants adultes.
Ces échantillons ont en même temps servi de préparations témoins pour les recherches sur l'activité reproductrice de T. nigrescens sur des substrats végétaux (5.1.3).
Pour chacun des substrats, endommagé ou intact, 5 préparations parallèles (n=5) ont été mises en place. Dans chaque verre, on a placé 10 T. nigrescens récemment éclos (14 jours au maximum). On a donc utilisé au total pour chacune des 49 séries d'essais 50 coléoptères. Les essais se sont déroulés à 27° ± 1°C et 75 % ± 5 % d'hum. rel., à l'abri de la lumière. Les préparations expérimentales renfermant les substrats artificiels (préparations dites "de famine") ont été contrôlées chaque semaine. Les animaux morts ont été en l'occurrence retirés des préparations et dénombrés. Les échantillons contenant les substrats végétaux ont été contrôlés dans une première phase chaque semaine et, ultérieurement, toutes les quatre semaines. Pour faciliter l'interprétation, tous les coléoptères survivants des 5 essais parallèles ont été réunis au bout de 9,5 mois et placés dans un verre contenant 30 à 40 g de substrat frais. On a situé mathématiquement la mort des animaux au milieu de la période écoulée entre le dernier contrôle et le contrôle considéré.
Longévité de T. nigrescens sans nourriture
Dans la totalité des témoins de famine, tous les T. nigrescens étaient morts 3 mois environ après le début des essais (tabl. 6). La plus haute longévité a été atteinte en l'occurrence par l'un des coléoptères, qui a vécu 93 jours. L'espérance de vie moyenne des 350 T. nigrescens que comptaient au total les 7 séries de préparations de famine était de 50,4 ± 13,5 jours. Ce sont les coléoptères placés sur les boules de verre qui sont morts les premiers, puisqu'ils n'ont survécu en moyenne que 37,5 ± 16,9 jours. Avec 70,8 ± 19,9 jours, la longévité la plus élevée en moyenne a été atteinte par les T. nigrescens placés dans des boîtes de Petri vides. On n'a pas constaté de différence significative dans la longévité moyenne des T. nigrescens placés dans les témoins de famine.
Longévité de T. nigrescens sur des substrats végétaux
Sur la plupart des substrats, il y avait encore des coléoptères vivants 6 mois après le début des essais (tabl. 7). En règle générale, le substrat intact offrait par rapport au substrat endommagé des chances de survie moindres. Les 50 imagos de T. nigrescens installés sur de la mouture de maïs et de blé, de même que sur le son et les flocons d'avoine, étaient encore tous en vie au bout de six mois. Tous les T. nigrescens élevés sur des haricots et des grains intacts étaient morts au bout de 12 mois.
Sur les milieux broyés, comme les deux sortes de maïs, le blé et le sorgho, ainsi que sur le manioc et les flocons d'avoine, 66 à 100 % des coléoptères mis en place à l'origine étaient toujours en vie un an après le début des essais. On a même trouvé sur ces milieux des T. nigrescens encore en vie au bout de deux ans. Ce sont les coléoptères placés sur du blé broyé qui ont atteint la plus haute longévité. Au bout de 30 mois, 13 coléoptères sur 50 étaient encore vivants.
Tabl. 5. Capacité de survie de T. nigrescens sur des substrats végétaux et pertes occasionnées
50 imagos / préparation; interprétation au bout de 6 mois à 27°C et 75 % d'hum. rd.; ne: non endommagé; e: endommagé; T: provenant du Togo; -: essai non effectué
Substrat | T. Nigr. | Pertes en % | Humidité en % | |
Maïs | ne | 30 | 0,10 | 13,8 |
Maïs | e | 50 | 0,87 | - |
Maïs T | ne | 25 | <0,05 | 13,8 |
Maïs T | e | 50 | 0,35 | - |
Manioc T | e | 49 | 0,95 | 12,8 |
Haricots | ne | 0 | 0,00 | 14,7 |
Haricots | e | 25 | 0,30 | - |
Haricots T | ne | I | 0,10 | 14,4 |
Haricots T | e | 44 | 0,61 | - |
Millet rouge T | ne | 46 | <0,05 | 12,8 |
Millet rouge T | e | 48 | 0,71 | - |
Sorgho blanc T | ne | 7 | <0,05 | 13,0 |
Sorgho blanc T | e | 49 | 0,71 | - |
Blé | ne | 25 | <0,05 | 14,7 |
Blé | e | 50 | 0,45 | - |
Son | 24 | - | 16,0 | |
Flocons d'avoine | 50 | - | 12,6 | |
Cacahuètes T | ne | 30 | 0,65 | 8,5 |
Cacahuètes T | e | 25 | 1,48 | - |
Amandes | e | 37 | 0,85 | 5,5 |
Riz T | ne | 29 | <0,05 | 13,3 |
Riz T | e | 42 | <0,05 | - |
Tabl. 6: Capacité de survie de T. nigrescens sur divers substrats végétaux
50 imagos / préparation; interprétation au bout de 6 mois à 27°C et 75 % d'hum. rel.; ne: non endommagé; e: endommagé; T: provenant du Togo; -: tous la coléoptères morts; (1), (2), (3): répétitions
Substrat | Durée de l'essai en mois | Longévité en jours (VM ± Std) | |||
1 | 2 | 3 | |||
Echantillons de café | |||||
Centrals | ne | 43 | 13 | - | 49,6 ± 21,0 |
Centrals | e | 48 | 7 | - | 48,6 ± 14,1 |
East Africans | ne | 48 | 14 | - | 53,4 ± 17,6 |
East Africans | e | 47 | 7 | - | 47,9 ± 14,9 |
Brasil | ne | 47 | 15 | - | 53,5 ± 18,8 |
Brasil | e | 50 | 8 | - | 50,5 ± 12,8 |
Colurnbia | ne | 48 | 16 | - | 54,8 ± 18,2 |
Columbia | e | 48 | 13 | - | 52,7 ± 17,2 |
Santos Brasil | ne | 46 | 30 | - | 63,2 ± 21,7 |
Santos Brasil | e | 47 | 24 | - | 59,9 ± 20,6 |
Robusta | ne | 44 | 3 | - | 43,3 ± 13,8 |
Robusta | e | 48 | 6 | - | 47,9 ± 13,8 |
Autres substrats | |||||
Cacao | ne | 31 | 24 | - | 38,1 ± 12,1 |
Cacao | e | 32 | 23 | - | 38,8 ± 16,3 |
Haricots | ne | 44 | 24 | 1 | 43,5 ± 16,8 |
Haricots T | ne | 45 | 31 | 10 | 63,6 ± 45,5 |
Biscuits pour chiens | 48 | 40 | 33 | 78,7 ± 27,3 | |
Maïs fam | 15 | - | 28,4 ± 12,9 | ||
Fruits secs | 48 | 25 | - | 40,3 ± 10,1 | |
Témoins | |||||
Fond du verre (1) | 48 | 38 | 2 | 70,8 ± 19,1 | |
Fond du verre (2) | 48 | 33 | - | 66,8 ± 18,2 | |
Fond du verre (3) | 42 | 24 | 49,6 ± 13,6 | ||
Gravier | 44 | 15 | - | 49,1 ± 16,0 | |
Boules de verre | 36 | 7 | - | 37,5 ± 16,9 | |
Styropor | 37 | 7 | - | 39,9 ± 18,4 | |
Argile expansée | 42 | 6 | - | 39,1 ± 10,5 |
Tabl. 7: Capacité de survie de T. nigrescens sur divers substrats végétaux
50 imagos / préparation; interprétation au bout de 6 à 30 mois i 27°C et 75 % d'hum rel.; ne: non endommagé; e: endommagé; T: provenant du togo; *: n=40; **: n=30; P.t.: P. truncatus; #: essai abandonné; (1), (2), (3): répétitions; -: tous les coléoptères morts; (-10): 10 coléoptères vivants ont été retirés des préparations aux fins d'expériences
Nombre de T.
nigrescens vivants Durée de l'essai en mois |
Longévité en jours (VM ± Std) |
||||||||
Substrat | 6 | (9,5) | 12 | (16) | 18 | 24 | 30 | ||
Maïs | ne | 30 | (-10) | - | - | - | - | 218,5 ± 61,7* | |
Maïs (1) | e | 50 | (-10) | 38 | (-10) | 12 | 3 | - | 503,1 ± 165,1** |
Maïs(2) | e | 50 | 50 | 40 | 18 | 4 | 679,5 ± 127,4 | ||
Maïs (3) | e | 46 | 42 | 20 | 2 | - | 477,7 ± 174,6 | ||
Maïs T | ne | 25 | - | - | - | - | 186,0 ± 105,7** | ||
MaïsT | e | 50 | (-10) | 36 | (-10) | 11 | 3 | - | 520,2 ± 168,1** |
Manioc T | e | 49 | (-10) | 33 | (-10) | 4 | 1 | - | 437,1 ± 139,0** |
Haricots | e | 25 | - | - | - | - | 192,8 ± 77,3 | ||
Haricots T | e | 44 | (-10) | - | - | - | - | 232,3 ± 47,1* | |
Millet rouge T | ne | 46# | |||||||
Millet rouge T | e | 48# | |||||||
Sorgho blanc T | ne | 7 | - | - | - | - | - | 132,9 ± 41,9 | |
Sorgho blanc T | e | 49 | (-10) | 35 | (-10) | 3 | 1 | - | 453,9 ± 122,9** |
Blé | ne | 25 | - | - | - | - | 144,0 ± 73,2 | ||
Blé | e | 50 | (-10) | 39 | (-10) | 28 | 25 | 13 | 870,0 ± 177,5** |
Son | 24 | - | - | - | - | 184,1 ± 21,1 | |||
Flocons d'avoine | 50 | (-10) | 33 | (-10) | 13 | 1 | - | 513,1 ± 165,1** | |
Cacahuètes T | ne | 30 | - | - | - | - | 222,2 ± 68,6 | ||
Cacahuètes T | e | 25 | (-10) | - | - | - | - | 173,9 ± 65,4* | |
Amandes | e | 37 | (-10) | - | - | - | - | 211,6 ± 55,3* | |
Riz T | ne | 29 | - | - | - | - | 192,1 ± 79,9 | ||
Riz T | e | 42 | (-10) | 3 | - | - | - | 227,1 ± 67,8* | |
Témoins | |||||||||
Cultures de p.t. | 47 | 37# | |||||||
Essais de famine | - | - | - | - | - | 50,4 ± 13,5 |
Les animaux ont ainsi atteint une moyenne d'âge de 870 jours. L'âge record a été atteint en l'occurrence par un coléoptère qui a vécu 3 ans et 3 mois.
Dans certains milieux végétaux, dont le café et le cacao, la longévité des imagos de T. nigrescens a été à peu près aussi brève que dans les préparations de famine. Le tabl. 6 indique le nombre de coléoptères survivants trouvés sur ces substrats au cours de la période d'essai, laquelle variait de 1 à 3 mois. Sur les échantillons de café et de cacao, les coléoptères étaient tous morts 3 mois après le début des essais, et cela indépendamment du fait que les haricots aient été endommagés ou non. C'est ainsi que l'espérance de vie de T. nigrescens sur les grains de café s'établissait en moyenne à 53,0 ± 6,5 jours, et à 51,2 ± 4,6 jours pour le café broyé.
Pour ce qui est des deux sortes de haricots, les coléoptères sont morts là encore rapidement quand on a utilisé des haricots intacts. Au bout de 90 jours, 20 % d'entre eux seulement avaient survécu sur la variété togolaise, et sur l'espèce vendue couramment dans le commerce en Allemagne, il n'y avait plus qu'un seul survivant (= 2 %).
5.3 Dégâts et pertes causés par Teretriosoma nigrescens sur des substrats végétaux
5.3.1 Matériels et méthodes
5.3.2
Résultats
Afin de voir si T. nigrescens avait occasionné de quelconques dégâts et d'en déterminer l'ampleur, on a soumis au bout de 6 mois le substrat contenu dans les préparations expérimentales (5.2) à un examen visuel destiné à déceler d'éventuels symptômes de dégâts.
Pour établir les pertes, on a tamisé, puis pesé la poussière de forage, et calculé le rapport avec le poids frais du milieu mis en oeuvre à l'origine. La mouture ayant servi de substrat a été tamisée et introduite dans les fioles avant pesage. La poussière résultant du broyage a été par là même éliminée et n'a donc pas été prise en compte comme poussière de forage dans les calculs.
A titre complémentaire, on a effectué un second essai destiné à établir un bilan des dégâts et pertes. Pour ce faire, on a confectionné 5 préparations parallèles, contenant chacune 100 T. nigrescens adultes sur env. 150 g de grains de maïs en vrac. Ces préparations ont été ensuite introduites dans des verres de 300 ml. L'analyse des pertes est intervenue au bout de 6 mois selon la méthode que nous venons de décrire. Les dommages ont été calculés sur la base du rapport entre le nombre de grains abîmés et le nombre total de grains.
A quelques exceptions près, les coléoptères ont été en mesure de percer et d'entamer les substrats offerts. C'est ainsi que 6 mois après le début des essais, on a noté au fond des conteneurs la présence de faibles quantités de poussière de forage.
On trouvera au tabl. 5 un résumé des données concernant l'analyse des pertes. Dans le cas du substrat non infesté, ces pertes se situaient à peu près entre 0,05 % et 0,10 % de la quantité de substrat initiale. Avec 0,3 % à 1,5 %, la part de poussière de forage dans le substrat infesté était légèrement plus élevée.
On n'a pas observé de symptômes d'attaques de la part de T. nigrescens, ni sur les grains de café, ni sur les fèves de cacao. Dû à leur surface lisse et dure, les haricots blancs, qui provenaient également du commerce, n'offraient pas davantage aux coléoptères le moindre point vulnérable.
Dans les autres échantillons, qui comportaient des grains et haricots entiers, les seuls symptômes d'attaque nets ont été relevés sur certaines graines, lesquelles ont été entièrement évidées au bout d'un certain temps. En recherchant les T. nigrescens survivants dans les préparations expérimentales, on a trouvé dans un seul de ces grains et haricots évidés jusqu'à 8 coléoptères.
Un essai complémentaire a permis d'établir que 4,75 % + 0,56 % des 564,2 ± 7,4 grains pesés en moyenne étaient endommagés au bout de six mois. Sur un total de 500 T. nigrescens mis en oeuvre à l'origine, 474 étaient encore en vie (94,8 ± 2,7 par préparation). La perte de poids de mais liée à la poussière de forage produite par T. nigrescens s'élevait à 0,32 % + 0,0 1 %.
5.4 Capacité reproductive de Teretriosoma nigrescens sur des substrats végétaux
5.4.1 Matériels et méthodes
5.4.2
Résultats
Ce sont les préparations expérimentales décrites en 5.2 qui ont servi de base à ces recherches. Ces préparations ont été soumises lors des contrôles mensuels à un examen au binoculaire d'échantillons prélevés au hasard et visant à déceler la présence d'oeufs et de larves de T. nigrescens. Les témoins étaient fournis par les préparations décrites, qui comportaient P. truncatus comme animal hôte.
En l'absence d'animaux hôtes, aucune activité reproductive de la part de T. nigrescens n'a été mise en évidence sur les milieux nutritifs végétaux. Pendant toute la durée des recherches, à savoir plus de 3 ans, on a trouvé dans les échantillons ni oeufs, ni larves, mortes ou vivantes, de T. nigrescens.
Le prédateur a pu en revanche se reproduire dans les préparations témoins. Lors du transfert des coléoptères sur de nouveaux élevages de P. truncatus, on a dénombré en moyenne dans les préparations expérimentales 5 à 6 larves de T. nigrescens d'âge divers. Sur P. truncatus, en tant qu'animal hôte, on a pu observer une activité reproductive même chez des coléoptères âgés d'un an (3.2).
A l'inverse des premières hypothèses émises, T. nigrescens ne vit pas seulement en prédateur, mais peut également exploiter une alimentation végétale, ce qui est souligné par l'espérance de vie étonnamment élevée des imagos sur des milieux végétaux par rapport aux témoins de famine.
Les milieux nutritifs sur lesquels T. nigrescens a survécu de façon prolongée sont tous caractérisés par une haute teneur en glucides (mais 65 %, flocons d'avoine 62 %, blé 60 %, manioc 32 %). A côté de divers sucres, l'amidon constitue en l'occurrence le principal composant (SOUCI et al., 1986). La mise en évidence d'amidon dans l'intestin ou dans les excréments des animaux par une solution d'iode et d'iodure de potassium a permis d'établir que les T. nigrescens adultes avaient ingéré du maïs, et donc absorbé et digéré de l'amidon.
A partir des examens du contenu de l'intestin de T. nigrescens, on a pu conclure que la moitié environ des coléoptères avaient mangé du mais avant le prélèvement d'échantillons. S'ils avaient excrété sans l'avoir digéré le substrat absorbé, la plupart des boulettes d'excréments se seraient colorées sous l'effet de la solution d'iode et d'iodure de potassium.
Comparée à une teneur en lipides d'env. 50 % et une teneur en protéines avoisinant les 20 %, la part de glucides contenue dans les cacahuètes et les amandes, qui est d'environ 10 %, ne joue qu'un rôle secondaire. Si les animaux vivent plus longtemps sur ces milieux que sur les témoins de famine, ils n'atteignent cependant pas un âge aussi élevé que sur les substrats riches en glucides.
De toute évidence, les imagos de T. nigrescens ne sont pas davantage en mesure d'utiliser pour leur alimentation les protéines animales, principal composant des biscuits pour chiens.
A l'instar de l'Afrique occidentale, le Costa Rica, région d'origine de P. truncatus et de T. nigrescens, est un important producteur de café. On ne connait pas de cas d'infestation du café ni d'apparition de T. nigrescens sur les plantations.
Si P. truncatus, a été en mesure de provoquer des dommages sur le café au cours d'essais en laboratoire, les coléoptères sont morts au bout de 2 mois sans avoir pu se reproduire (SHIRES, 1977). P. nigrescens, au contraire, n'a pas causé le moindre dommage aux grains de café ni aux fèves de cacao, et cela même dans les conditions de laboratoire les plus extrêmes, du fait qu'il a refusé de prendre ce substrat pour nourriture, les coléoptères étant donc rapidement morts de faim.
Les résultats du "choice chamber test" effectué par REES (1990) viennent confirmer ces observations. Cet essai sélectif avait pour objet d'étudier l'attirance exercée sur T. nigrescens par divers substrats végétaux. Les comparaisons avec les témoins n'ont pas permis de constater chez T. nigrescens d'affinités particulières envers le café ou le cacao.
Le soupçon selon lequel la mort rapide des imagos de T. nigrescens sur les échantillons de café pourrait être due à des résidus d'insecticide a été réfuté par la méthode biologique d'essai appliquée par le GTZ-Pesticide Residue Analysis Laboratory de Darmstadt, qui fait intervenir comme animal expérimental le moucheron du vinaigre ou trypétide Drosophila melanogaster, ainsi que certains procédés d'analyse chimique des résidus.
Il est probable que c'est la caféine, dont les grains de café contiennent entre 0,8 et 1,8 %, qui est à l'origine de la mort rapide des imagos de T. nigrescens. NATHANSON (1984) a réalisé divers essais destinés à étudier les effets insecticides de la caféine et d'autres méthylxanthines. Pour ses recherches, il a utilisé comme insecticide d'ingestion aussi bien des grains de café pulvérisés que de la méthylxanthine synthétique. En fonction de la concentration employée et de l'espèce d'appartenance de l'animal expérimental, il a pu mettre en évidence des effets inhibiteurs sur la nutrition et la croissance, sur la fertilité des animaux, ainsi que des effets hautement toxiques, lesquels ont entraîné rapidement la mort des insectes. Les fèves de cacao et les feuilles de thé contiennent également des méthylxanthines. Cette présence explique la longévité très limitée des imagos de T. nigrescens sur les fèves de cacao, même si celles-ci possèdent, comme par ex. les cacahuètes, une teneur en amidon d'env. 10 %.
Bien que T. nigrescens soit en mesure d'exploiter des substrats végétaux pour son alimentation, la crainte de le voir se transformer lui-même en ravageur des denrées stockées est dépourvue de fondement. Les pertes causées aux milieux végétaux étaient en effet négligeables. De par sa morphologie, ce coléoptère est pratiquement incapable de percer ou d'entamer des grains intacts. Ses mandibules puissantes sont plutôt aptes à saisir et à dépecer des proies (fig. 15 A, B + C), ce qui explique les faibles dégâts constatés sur les grains et haricots intacts et la longévité supérieure de ce coléoptère sur les grains endommagés mécaniquement au préalable. Ces coléoptères meurent assez rapidement lorsqu'ils ne parviennent pas à traverser le tégument du grain. C'est ainsi que l'on trouve encore dans les échantillons contenant du substrat endommagé de nombreux animaux ayant librement accès à l'endosperme, tendre et nourrissant, et qui produisent par là-même davantage de poussière de forage.
On a souvent observé la présence, dans un même grain de mals totalement évidé, de plusieurs coléoptères étroitement serrés les uns contre les autres. Du fait que la nourriture offerte par le grain était épuisée, on peut supposer que les coléoptères étaient en train de passer dans cet agrégat par une sorte de phase de repos. D'ordinaire très mobile, ces coléoptères s'étaient ainsi créé un microclimat qui leur permettait d'économiser de l'énergie afin de survivre plus longtemps.
Une simple cachette, sans possibilité de s'alimenter de temps à autre, ne peut toutefois suffire à garantir la survie des coléoptères, ce qui est attesté par les témoins de famine dans lesquels on avait placé du gravier, de l'argile expansée, du styropor et des boules de verre. Du fait que T. nigrescens est associé à P. truncatus, qui est un ravageur primaire, il va se trouver avant tout au contact de substrats déjà endommagés. Il est à supposer toutefois que s'il a la possi bilité de choisir, T. nigrescens va préférer P. truncatus, au substrat végétal. Les expériences effectuées au Togo dans des conditions analogues au milieu naturel n'ont pas permis de mettre en évidence chez T. nigrescens la moindre affinité envers des substrats végétaux (maïs, sorgho, millet, haricots, riz, manioc, café, cacao et cacahuètes) (HELBIG, 1993; HELBIG et al., 1992a,d). Les expériences se sont déroulées dans une cage, dans laquelle avaient été placés des greniers à maïs infestés par P. truncatus. Dans le test de sélection effectué par REES (1990), les imagos de T. nigrescens, comme on l'a vu plus haut, accordaient la préférence aux échantillons de mais provenant d'élevages de P. truncatus, au détriment des échantillons de maïs non infestés. T. nigrescens ne s'est pas reproduit sur des substrats végétaux en l'absence d'animaux hôtes, ce qui pourrait s'expliquer par le fait que seuls les adultes de T. nigrescens sont en mesure d'absorber et de digérer les substrats végétaux, les larves étant quant à elles contraintes à une alimentation animale. Les résultats des recherches sur la capacité de survie des larves de T. nigrescens sur la farine de maïs parlent également en faveur d'un mode de vie exclusivement prédateur. Les larves du premier stade placées dans de la farine de mais sont rapidement mortes de faim. S'il est vrai que nous n'avons pas procédé nous-mêmes à un essai de contrôle dans lequel les larves auraient été nourries de proies, LELIVELDT (1990) a effectué un test de ce genre. Les larves se trouvaient en l'occurrence dans de petites boîtes de Petri en verre remplies de grains de maïs provenant d'élevages de P. truncatus, Les espaces vides ont été comblés par de la farine de mais. Pour assurer l'alimentation des larves de T. nigrescens, on leur a donné chaque jour des larves de P. truncatus, vivantes, ce qu'il leur a permis de se développer jusqu'au stade de coléoptères adultes.
Parmi les L2 placées dans la farine de maïs, certaines n'étaient de toute évidence pas encore parvenues à maturité, mais sont tout de même, probablement en raison d'un manque de nourriture appropriée, passées à la phase de nymphose. C'est ainsi qu'à côté des imagos de taille normale qui venaient d'éclore, on a également trouvé des exemplaires de plus petite taille.
On a pu par conséquent élever des imagos mâles et femelles de T. nigrescens n'ayant pas copulé, et qui n'avaient encore jamais dévoré d'individus de P. truncatus, ce qui pourrait s'avérer intéressant pour les recherches ultérieures.
Les capsules céphaliques de larves séparées du corps trouvées dans les préparations contenant de la farine de mais permettent de conclure à un phénomène de cannibalisme, lequel s'est manifesté aussi bien chez les L1 que chez les L2. BÖYE (1988) a lui aussi observé ce phénomène dans des cas de haute densité de population. Du fait que les imagos se comportent de manière similaire vis-à-vis de leur propre ponte (LELIVELDT & LABORIUS, 1990), les oeufs pondus sur les substrats végétaux sont vraisemblablement dévorés par les coléoptères en l'absence de proies. Cette thèse est renforcée par le fait que l'on n'a pas découvert de capsules céphaliques de jeunes larves mortes de faim dans les échantillons impliquant des T. nigrescens adultes placés sur des substrats végétaux.
Le fait que T. nigrescens soit également en mesure d'exploiter une source d'alimentation végétale permet de considérer comme probable le succès de la lutte contre le ravageur des stocks P. truncatus, En temps normal, dans la relation prédateur-proie, la densité de population est soumise à de fortes variations (KRIEG & FRANZ, 1989). Lorsque les proies sont suffisamment nombreuses, la population de prédateurs s'accroit du fait de l'abondance de nourriture. Une haute densité de prédateurs se traduit par une décimation rapide des proies. Ce phénomène entraîne à son tour une diminution du nombre de prédateurs due à la pénurie de nourriture, ce qui résulte de nouveau dans une forte progression du nombre de proies. C'est ainsi que le cercle se referme.
Cette oscillation cyclique, décalée dans le temps, de la densité des populations de prédateurs et de proies, est interrompue par l'aptitude de T. nigrescens à exploiter également une nourriture végétale.
Lorsqu'il ne reste plus qu'un petit nombre d'animaux hôtes, la population de T. nigrescens stagne durant une période prolongée. Les coléoptères peuvent se nourrir de substrat végétal, évitant ainsi un effondrement soudain de leur densité de population. Même si les proies font totalement défaut pendant plusieurs mois, lors de toute nouvelle multiplication massive de P. truncatus, le ravageur trouve en face de lui un grand nombre de prédateurs, et cela sans qu'il y ait de décalage temporel notable. Cette faculté que possède T. nigrescens augmente les chances de le voir s'établir avec succès au Togo après qu'il aura été lâché.
En dépit de tous ces résultats, on ne saurait oublier que les essais pratiqués avec T. nigrescens en laboratoire sur des substrats végétaux représentent pour le prédateur une situation extrême. C'est ainsi que la densité de coléoptères choisie pour les préparations expérimentales était environ 10 fois supérieure à ce qu'elle était sur le terrain. BÖYE (1988) a trouvé au Costa Rica sur des épis de maïs (50 à 70 g de mais) entre 2 et 3 adultes de T. nigrescens en moyenne. Le coléoptère, qui est d'ordinaire très mobile, n'avait aucune possibilité de se dérober au système imposé dans le cadre expérimental pour aller exploiter ses sources de nourriture favorites. Les animaux ne s'étant pas multipliés sur les substrats végétaux, on peut en conclure qu'ils sont avant tout des prédateurs, puisque seul ce mode d'alimentation peut leur permettre d'assurer, à travers la reproduction, la survie de l'espèce.