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La lutte contre la cochenille du manioc on Afrique

Introduction
Quel est cet insecte?
Comment lutter contre cette cochenille?
Conclusion
Bibliographie
Résumé

Paul-André Cahtayud, Bruno Le Rü

Introduction

Le manioc Manihot esculenta Crantz (Euphorbiaceae) est une plante pérenne dicotylédone cultivée principalement en régions tropicales pour la consommation de ses racines tubérisées mais aussi de ses feuilles (figure 1). Originaire d'Amérique Latine, il a été importé en Afrique au 16ème siècle par les Portugais (Silvestre et Arraudeau, 1983) et plus récemment en Asie (Belloti et Kawano, 1980). Il constitue, à présent, la culture vivrière de base de près de 500 millions d'habitants. Sur le continent africain, il est cultivé dans 35 pays du Sénégal au Malawi. Depuis le début des années 1970, une baisse de la production en tubercules est constatée en Afrique. Cette diminution a pu s'expliquer en partie par la présence et la diffusion rapide de maladies (bactérioses, viroses) et de ravageurs (acariens, cochenilles), d'introduction récente sur le continent africain (Herren, 1987), telle que la cochenille farineuse du manioc Phenacoccus manihoti Matile-Ferrero (Homoptera, Pseudococcidae) qui était jusqu'alors inconnue (Matile-Ferrero, 1976) (figure 2).

Figure 1 - Manioc sain (variété M'pembe)

Figure 2 - Cochenille farineuse du manioc Phenaccocus manihoti

Figure 3 - Manioc infesté par P. manihoti

Figure 5 - Epindinocarsis lopezi parasitant une cochenille

Quel est cet insecte?

Cet insecte a été signalé pour la première fois sur le continent africain en 1973 au Congo (Silvestre, 1973) et au Zaïre (Hahn et Williams, 1973). Il est considéré comme l'un des plus importants ravageurs du manioc en Afrique. Originaire des zones tropicales d'Amérique du Sud (Bolivie, Brésil, Paraguay) (Cox et Williams, 1981), il s'est rapidement propagé dans 25 pays appartenant à la zone de culture du manioc en Afrique (Neuenschwander et Herren, 1988). Les premières études sur ce ravageur ont d'abord porté sur sa biologie et la dynamique de ses populations (Nwanze, 1977, Fabres et Boussienguet, 1981). Cette cochenille, oligophage inféodée au genre Manihot, se reproduit par parthénogenèse thélytoque (ne donnant que des femelles) et est dotée d'un important pouvoir de multiplication (chaque femelle pouvant pondre jusqu'à 500 oeufs). De type piqueur-suceur et appartenant au même sous-ordre que les pucerons, elle se nourrit principalement de sève élaborée du manioc (Calatayud et al., 1994a). L'attaque des feuilles par l'insecte peut causer des dégâts par déformation et réduction de la surface foliaire, ainsi que par diminution de l'activité photosynthétique (figure 3). L'attaque des tiges peut provoquer un arrêt de croissance de la plante (Bellotti et Kawano, 1980). Dans les conditions naturelles, sa pullulation intervient chaque année pendant la grande saison sèche en Afrique Centrale (figure 4). Elle est observée lorsque des modifications des facteurs climatiques (pluviométrie, ensoleillement) induisent d'importants changements de la physiologie du manioc (arrêt de croissance de la plante, poussée de sève) (Calatayud et al., 1994b).

Figure 4 - Variation mensuelle de l'effectif naturel de cochenilles et de la pluviométrie totale durant l'année 1991 à Brazzaville (Congo).

Comment lutter contre cette cochenille?

Devant les difficultés rencontrées pour la mise en oeuvre de la lutte chimique dans le contexte socio-économique africain (faibles revenus des agriculteurs, morcellement des parcelles paysannes, problèmes d'écotoxicité...), les recherches se sont orientées vers la lutte biologique.

L'intervention de certains facteurs biotiques sur cet insecte a été abordée. Ainsi en 1982, l'entomophtorale Neozygites fumosa (Speare) Remaudière et Keller (Zygomycète) a été signalée au Congo sur P. manihoti. Cependant, c'est seulement dans certaines conditions d'humidité relative atmosphérique et de densité de la cochenille que ce pathogène peut être à l'origine de la décroissance rapide des effectifs du ravageur (Le Rü, 1986).

L'entomofaune associée à la cochenille du manioc a été également décrite au Congo (Fabres et Matile-Ferrero, 1980), au Gabon (Boussienguet, 1986) et au Nigeria (Neuenschwander et al., 1987). Les prédateurs appartiennent à 5 ordres d'insectes: Coleoptera, Lepidoptera, Diptera, Hemiptera et Neuroptera. La famille des Coccinellidae, avec 32 espèces recensées, représente plus de 50% de l'ensemble des espèces prédatrices associées à P manihoti, avec la prédominance des genres Exochomus et Hyperaspis. Les parasitoïdes primaires de P. manihoti sont tous des Hyménoptères Encyrtidae appartenant au genre Anagyrus. Tous les auteurs s'accordent pour reconnaître qu'en Afrique, les entomophages indigènes exercent une faible action régulatrice sur la cochenille du manioc malgré leur importante diversité spécifique (Fabres et Matile-Ferrero, 1981, Neuenschwander et al., 1987).

L'utilisation d'entomophages exotiques est alors apparue comme un moyen de lutte contre les populations de cochenilles du manioc. Dès 1977, plusieurs espèces d'insectes entomophages de la cochenille, récoltées au sein de la biocénose sud américaine, ont été identifiées par le Commonwealth Institute of Biological Control. (Yaseen et Bennett, 1979). Ces auxiliaires, un Encyrtidae (parasitoïde et des Coccinellidae (prédateurs), ont été étudiés à des fins de lutte biologique, en liaison avec l'IITA (International Institute of Tropical Agriculture).

Les recherches les plus approfondies ont porté sur Epidinocanis lopezi De Santis (Hymenoptera, Encyrtidae) (figure 5), une guêpe endoparasite de la cochenille du manioc qui a fait l'objet d'un premier lâcher au Nigeria dès la fin de l'année 1981. Dans le cadre du «Projet Panafricain de Lutte Biologique» (ABC), des lâchers de ce parasitoïde ont été effectués en Afrique Occidentale et Centrale, et plus récemment en Afrique de l'Est.

En 1990, cet Encyrtidae est signalé dans 22 pays (Herren et Neuenschwander, 1991). L'efficacité de ce parasitoïde en tant qu'agent de lutte biologique est cependant controversée. Alors que dans certaines conditions écologiques, comme celles de l'ouest Nigeria ou du sud Ghana, il paraissait capable de réguler les populations de P. manihoti (Herren et Neuenschwander, 1991), sa présence ne semblait pas affecter significativement la dynamique des populations de la cochenille du manioc dans le sud Congo (Le Rü et al., 1991) ou au Sénégal (Nenon, 1990). Par ailleurs, malgré la présence de ce parasitoïde, d'importants dégâts causés par la cochenille ont été signalés au sud-est du Nigeria par Umeh (1988) en Sierra Leone par Sesay (1987), au Togo par Fischer (1987) et au Malawi par Nyirenda (1988).

Aucun des facteurs abiotiques (température, humidité relative, pluviométrie) et biotiques (pathogènes, parasitoïdes prédateurs, capacité limite 2 étudiés jusqu'en 1990 n'avait permis d'expliquer les disparités observées dans la répartition et l'abondance du ravageur d'un biotope à un autre. La variabilité des agrosystèmes du manioc (très grande diversité des variétés de manioc et des conditions écologiques dans lesquelles ils sont cultivés) a pu expliquer ces résultats. Les recherches se sont alors orientées vers l'étude écophysiologique des interactions entre la cochenille et sa plante hôte. Dans ce contexte, sur la base de l'important matériel végétal disponible au Congo, Tertuliano et ai. (1993) ont pratiqué un criblage en condition de plein champ et en laboratoire, afin de déceler d'éventuels degrés de résistance susceptibles de conduire à un programme de lutte variétale. Ce criblage n'a pas permis d'identifier des variétés de manioc totalement résistantes mais a cependant mis en évidence des résistances partielles. De plus, d'autres études, réalisés sur les relations manioc/cochenille, suggèrent fortement que la résistance de la plante à l'insecte est partielle et probablement polygénique, impliquant des mécanismes biochimiques de défense multiples (Calatayud et al., 1994a; Calatayud et al., 1994c; Calatayud et al., 1996).

Conclusion

L'utilisation de l'Hyménoptère endoparasite E. lopezi en tant qu'agent de lutte biologique s'est avérée efficace dans certaines situations écologiques pour lutter contre la cochenille du manioc en Afrique. Toutefois, des dégâts importants continuent à être observés dans les plantations de manioc cultivés sur sols pauvres (Neuenschwander et al., 1990; Le Rü et al., 1991). Afin de renforcer cette lutte biologique et surtout de gérer durablement celle-ci, d'autres études apparaissent souhaitables. Dans ce contexte, des recherches sont actuellement menées pour une meilleure compréhension des modifications physiologiques du manioc en situation de déficit hydrique afin d'identifier le ou les facteurs biochimiques de la plante facilitant le développement de la cochenille. Ces recherches s'intègrent dans d'autres études menées sur les parasites (utilisation combinée de plusieurs espèces de parasites et suivi de leurs comportements selon diverses modalités biologiques) et devraient permettre de proposer un programme de lutte dit intégré tenant compte notamment des génotypes de manioc cultivés et des pratiques culturales employées.

Bibliographie

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Résumé

Le manioc, culture vivrière de base de près de 500 millions d'habitants subit depuis peu l'attaque de la cochenille farineuse Pheracoccus manihoti Cet insecte, oligophage, se reproduit par Parthenogénèse thelytoque et se nourrit de la sève élaborée du manioc.

La lutte biologique et variétale, en particulier l'introduction en Afrique d'un hymeroptère endoparasite Epidinocarsés lopzi, permettent ponctuellement de diminuer les dégâts.


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